Fin de parcours
Dans son vieux break Volvo il roule peinard.
Fenêtres ouvertes, laissant le vent frais du petit matin s’engouffrer dans la caisse.
Il écoute un vieil album de Rory Gallagher, « Irish Tour’ 74 ».
Il se dit que ce n’est pas juste qu’un guitariste comme Rory soit mort si jeune alors qu’il y a plein de cons qui bouffent l’oxygène des autres.
D’une main il guide la bagnole qui semble apprécier ces petites routes désertes.
De l’autre il tient une grande canette d’Hoegaarden.
La bière est fraîche et ce jus qui se répand dans son corps lui fait rûdement du bien.
Il ne sait pas où il va.
Il s’en fout, au point où il en est, cela n’a plus d’importance.
Il y a un mois sa femme s’est barrée avec les mômes et ce matin son patron l’a viré.
Motif : arrivées tardives répétées, attitude nonchalante, manque de motivation.
C’est à ce moment précis qu’il a senti très nettement qu’il se coupait du monde, que tout devenait flou, comme irréel.
Et l’autre qui lui faisait la morale, qui pointait un index accusateur.
Sa voix et son sermon de merde semblaient venir de très loin.
Si tôt le matin, se faire engueuler puis se faire jeter. C’est pas bon ça.
Bizarrement, c’est très calmement qu’il lui a foutu un poing en travers de la tronche.
Il a vu le boss partir en arrière et se cogner violemment la tête contre le coin du radiateur.
Il ouvre une nouvelle canette, c’est déjà la 4e et il se sent léger, comme apaisé.
Il a conscience qu’il doit prendre une décision. Faudrait au moins qu’il se lave les mains pour enlever le sang séché.
Ce n’est pas de sa faute si l’autre s’est fracassé la tête, ça non plus ce n’était pas prévu.
Pourquoi faut-il toujours qu’une emmerde en amène d’autres ?
Il décide de s’arrêter, gare son véhicule le long de la route, en dessous d’un arbre qui donne une belle ombre.
Il descend du véhicule, les jambes un peu lourdes, ouvre la porte arrière du break et s’assied au bord de la bagnole.
Il n’a plus de canette et rien à bouffer alors il se roule une clope et décide d’attendre.
Y aura bien quelqu’un qui finira par s’arrêter pour demander un renseignement ou pour n’importe quel autre prétexte.
Et cet élu du hasard finira bien par remarquer qu’il y a quelque chose de pas normal.
Il verra, au fond du break, ce corps sans vie avec tout ce sang coagulé à la tête.
Les flics viendront, poseront un tas de questions puis l’emmèneront à l’ombre pour longtemps.
Il crache la fumée et soupire longuement.
Il se souvient des paroles du curé de son bled quand il était gamin : « on récolte ce que l’on a semé ».
C’est sûr il allait bien récolter.
Yves Alié / 07.2005
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