Terres rares,… terres sales
Scandium, Yttrium, Cérium, Praséodyme, Néodyme, Prométhéum, Samarium, Europium, Gadolinium, Terbium, Dysprosium, Holmium, Erbium, Thulium, Ytterbium, Lutécium…
Quels sont ces noms barbares si peu familiers alors que, pourtant, ils ont envahi notre quotidien ?
Ils forment les « Terres rares », des éléments métalliques qui possèdent des propriétés et des caractéristiques indispensables pour la fabrication d’applications que l’on retrouvent dans nos smartphones, ordinateurs, tablettes, écrans plats, panneaux photovoltaïques, éoliennes, voitures électriques, différents moyens de transport, billets de banque, technologies « vertes », matériel à vocation militaire,…
Si le nom de « Terres rares » évoque la rareté, en réalité il n’en est rien.
La couche terrestre regorge de ces métaux mais le pourcentage présent dans la roche mère est infime ce qui nécessite des moyens conséquents, des techniques d’extraction très lourdes, sans oublier l’étape du raffinage.
Cette industrie lourde provoque des conséquences environnementales et sanitaires désastreuses, hautement toxiques pour l’environnement, pour la biodiversité et bien sûr pour l’Homme.
C’est l’ensemble de ce process qui a donné le nom de « Terres rares ».
Si l’Afrique est un acteur important de cette industrie, aujourd’hui c’est la Chine, « l’atelier du monde », qui contrôle pratiquement toute la production des « Terres rares », ce qui représente, on l’aura vite compris, des enjeux stratégiques et géopolitiques colossaux.
Soucieux de préserver son environnement, l’Occident, et l’Europe en particulier, a choisi de ne pas s’engager dans cette industrie, laissant faire le sale – et mal payé – boulot en d’autres contrées lointaines.
Pendant 6 ans et à travers 12 pays, le journaliste Guillaume PITRON a mené une large enquête sur la problématique des « Terres rares ».
En janvier 2018 il a publié aux Editions « Les Liens qui libèrent » le résultat de son important travail dans son livre « La guerre des métaux rares» dont voici le pitch que l’on trouve sur le site de l’agence de communication « Anne & Arnaud » : « En nous émancipant des énergies fossiles, nous sombrons en réalité dans une nouvelle dépendance : celle des métaux rares. Ils sont devenus indispensables au développement de la nouvelle société écologique (éoliennes, panneaux solaires, etc.) et numérique (ils se nichent dans nos smartphones, nos ordinateurs, tablettes et autres objets connectés de notre quotidien). Or, les coûts environnementaux, économiques et géopolitiques de cette dépendance seront pires encore que ceux de notre société industrielle actuelle. Guillaume Pitron nous livre sur ce sujet une enquête édifiante.
Terres rares, graphite, chrome, germanium, platinoïdes, tungstène, antimoine, béryllium, fluorine, rhénium… et bien sûr le prométhium. Ils sont « le prochain pétrole » tant ils sont appelés à remplacer l’or noir. Mais où et comment allons-nous nous procurer ces ressources ? Y aura-t- il des vainqueurs et des vaincus sur le nouvel échiquier des métaux rares ? Quel prix pour nos économies, les hommes et l’environnement ?
Pour cette enquête, Guillaume Pitron a côtoyé les replis des mines d’Asie tropicale, survoler les déserts de Californie en bimoteur, s’incliner devant la reine d’une tribu oubliée d’Afrique ou dépoussiérer des vieux parchemins remisés dans de vénérables institutions londoniennes.
Sur quatre continents, une toile d’hommes et de femmes agissant dans le monde trouble, discret des métaux rares a révélé un récit beaucoup plus sombre de la transition énergétique. À les entendre, l’irruption de ces nouvelles matières n’a pas rendu à l’homme et à la planète le service que promettait l’éclosion d’un monde plus vert– loin de là. Car après les magistères britanniques et américains sur le charbon et le pétrole, c’est la Chine qui est en train d’asseoir sa domination sur le 21ème siècle grâce au commerce des métaux rares.
Le capitalisme, dont la résilience repose dorénavant sur l’avènement des technologies vertes et numériques, va devenir de moins en moins inféodé aux carburants des deux précédentes révolutions industrielles en même temps qu’il va se trouver de plus en plus assujetti aux métaux rares de la transition qui vient ».
Vidéo
Invité de l’émission « 28 minutes » du 11 janvier 2018, Guillaume PITRON nous présente son enquête qui nous bouscule.
Extraits :
• « Dépendance et accros aux métaux rares »
• « Consommation de 2 milliards de tonnes / an » (NDLR : alors que pour en obtenir quelques kilos il faut extraire des tonnes de terre.)
• « Une voiture électrique pollue autant (ou plus) qu’une voiture diesel »
• « Mode d’extraction encore plus nocif que celui du pétrole »
• « Désastre sanitaire et environnemental »
• « Nous avons tous des métaux rares sur nous, chez nous ».
• « La convergence entre la transition énergétique fondée sur les énergies décarbonées et la révolution numérique qui prétend nous offrir un monde de dématérialisation où on n’abîmerait pas la planète est une leurre, une mystification ».
• « Le numérique n’est jamais neutre ».
« Loin des yeux loin du cœur »
« Wang Tao, paysan chinois, a cultivé du maïs, des pommes de terre et du blé à un jet de pierre d’une décharge des déchets de l’extraction de terres rares, jusqu’au jour où des produits chimiques ont déversé leur poison sur ses terres. Les paysans vivant près de la décharge de 10 km2, dans le nord-ouest de la Chine, disent qu’ils ont perdu leurs dents et que leurs cheveux ont blanchi, tandis que des études ont décelé que l’eau et le sol contenaient des matières radioactives cancérigènes. » Source : 20 minutes Planète
« La radioactivité mesurée dans les villages de Mongolie-Intérieure proches de l’exploitation de terres rares de Baotou est de 32 fois la normale (à Tchernobyl, elle est de 14 fois la normale). D’après la carte des villages du cancer en Chine, la mortalité par cancer est de 70 %. Il s’agit de cancer du pancréas du poumon et de leucémies. Des travaux menés en 2006 par les autorités locales ont montré que les niveaux de thorium dans le sol à Dalahai étaient 36 fois plus élevés que dans d’autres endroits à Baotou. Soixante-six villageois y ont succombé à un cancer entre 1993 et 2005 tandis que les rendements des récoltes chutaient, a indiqué le National Business Daily.
Les effluents toxiques sont stockés à Baotou dans un lac artificiel de 10 km3 dont les trop-pleins sont rejetés dans le fleuve Jaune.
Ces pollutions ont été dénoncées dans un rapport de Jamie Choi, alors responsable de Greenpeace Chine. Ce rapport n’est plus accessible au grand public ». Source Wikipédia
Comment sortir de cette impasse ?
Alors que nous nous battons, à juste titre, pour un monde « plus vert », pour la défense de l’environnement, de la biodiversité et des écosystèmes, en même temps, comme la collision frontale de nos incohérences, de nos contradictions et de nos égoïsmes, là-bas, en Asie, mais aussi en Afrique, des milliers de personnes vivent l’enfer de l’industrie des « Terres rares » pour que nous, nations dites civilisées, défenseurs des droits de l’Homme, nous puissions poursuivre sans douleur notre quête d’un progrès que l’on veut sans fin, comme un plaisir qui ne s’arrêterait jamais.
Dès lors, il est urgent de mettre en œuvre des politiques et des moyens pour recycler un maximum de ces « terres rares » présentes en masse dans tous les appareils.
Ceux que nous jetons quand ils ne fonctionnent plus ou, comble de l’auto destruction imbécile, lorsque le marketing nous dicte sa loi, imposant aux esprits en quête de puissance et de reconnaissance l’obligation d’avoir toujours le dernier modèle : avoir c’est être.
Et même si le recyclage représente un coût énergétique et environnemental conséquent (aucune action n’est neutre), cela reste le moyen incontournable pour réduire l’extraction de ces matières premières mais aussi notre dépendance face à la Chine.
Repenser nos modes de fonctionnement ?
Sommes-nous arrivés au stade où nos modes de fonctionnement ne peuvent plus se passer de ces technologies, de tous ces outils grands consommateurs de « Terres rares » ?
Ne pouvons-nous plus vivre sans applications (les « applis ») à tel point que l’accès à certains services seront devenus totalement impossibles à celles et ceux qui feraient de la « résistance » à ces technologies, sans choix alternatifs ?
Avons-nous atteint le point de non-retour qui nous empêche de changer de cap ?
Sommes-nous définitivement captifs d’un système complexe et cadenassé qui comme une dissonance cognitive nous empêche d’imaginer de vivre autrement, comme Un Autre Monde qui désormais hors d’atteinte ?
Et que dire de ce paradoxe qui font de tous les militants écologistes / bobos / décroissants / anarchistes, malgré leur bonne volonté et leur idéal d’un autre monde, des utilisateurs qui eux aussi usent et abusent de ces outils de la modernité, du progrès.
Complices « malgré eux » ?
Déni ?
Esclaves et servitudes ?
Probablement parce que cette industrie dantesque est « loin des yeux et loin du cœur », parce nous ne sommes pas directement impactés, parce que nous ne la vivons pas de très près, que nous ne la sentons pas, que nous ne souffrons pas, que nous n’avons pas les pieds dans les boues toxiques, les poumons étranglés, les yeux rougis et la peau brûlée.
Aveuglés par nos beaux écrans lumineux nous ne percevons pas notre lent enlisement, ce train fou dans lequel nous sommes tous montés en chantant notre foi dans les bienfaits du progrès éternel et du lendemain qui finira par être meilleur, sans effort, sans changement de camp, comme par enchantement.
Je n’ai pas de solutions toutes faites, mon chemin c’est allumer et braquer des projecteurs sur la noirceur de notre monde et puis comme le disait le philosophe Bernard Stiegler « Penser c’est bifurquer ».
Yves Alié – 02.2018
Mais encore…
Vous ne savez pas à quoi ressemble une exploitation de « Terres rares » ?
Dans la construction de cette réflexion j’ai découvert ce magnifique reportage photos de la photographe Véronique de Viguerie.
Le site du journaliste Guillaume PITRON, auteur du livre « La guerre des métaux rares»
Un article de Libération du 01.02.2018
Métaux rares : «Un véhicule électrique génère presque autant de carbone qu’un diesel»
Clin d’œil…
Vous désirez acquérir des « Terres rares » ?
Je vous ai trouvé un négociant en France, METALLION, avec quelques exemples de « matériaux de haute technologie, métaux stratégiques et terres rares« .
Vous avez très envie de vous offrir, par exemple, un morceau de Rhenium à… 44,30 euros/gramme ?
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